Il fut un temps où partager un selfie n’était pas possible, les appareils photos étaient bien lourds et difficilement transportables et faire son autoportrait n’était pas quelque chose d’accessible à tous, surtout s’il fallait se couper un bout d’oreille pour arriver à quelque chose. Et porter à bout de bras les 20 kilogrammes d’une chambre photographique c’était pas top. Internet n’existait pas et c’est tout juste si l’on venait d’inventer le télégraphe. Et pourtant, le principe dans les grandes ligne existait déjà.
Petit voyage dans le temps, nous sommes dans la seconde moitié du XIXème siècle, juste après les débuts de la photographie et Eugène veut draguer une jeune fille qu’il a croisé dans la rue et qui lui plait, comment fait-il pour que sa belle se rappelle de son visage, (sachant qu’il ne peut pas lui dire « hé, t’as pas un zéro-six? ») ? C’est simple, il partage avec elle une photo-carte (de visite) qu’il a fait tirer chez son photographe de quartier et sur laquelle il a inscrit de sa plus belle plume son adresse et un petit mot d’amour, un peu comme on partagerait son profil Facebook en inscrivant sur le mur de la personne concerné « tu te souviens de moi, t’étais bourré, je sais pas si tu te rappelles de mon visage, mais comme t’es mignon, je t’ajoute comme ami, regarde ma photo de profil, je fais un DuckFace… ».
La photo-carte était un portrait fait en studio devant des fonds rococos (draperies, colonne grecque, paysage peint, boudoir…) qui a été popularisé dans aux alentours de 1860, notamment grâce à des célébrités de l’époque qui trouvaient ça super tendance.
Le principe était simple, on exposait une photo sur la une plaque de verre à l’aide d’un appareil dont la platine et la chambre avaient été modifiés pour monter plusieurs objectifs ce qui permettait en une seule prise de vue d’avoir plusieurs copies du négatif qu’on tirait ensuite sur papier par contact et qu’on pouvait reproduire à l’infini.
Les photographes du monde s’emparent rapidement de cette technique, et la petite bourgeoisie peut se faire tirer le portrait pour pavaner devant les copains, c’est moi qui ait la plus grosse belle photo-carte. Ça devient une mode, toute personne qui se respecte se doit d’avoir sa tronche sur sa carte de visite.
Plus ça va aller, moins ça va aller, les gens connus vendent leurs images et on commence à les collectionner dans des albums Paninis et les portraits de célébrités (parmi lesquels Victor Hugo, Louis Pasteur, Napoléon III, Mac Mahon, Manet, Sissi…) s’échangent à tour de bras, pour vous donner l’ampleur de cette mode, il se serait vendu entre trois et quatre millions de photo-carte de la Reine Victoria sur deux ans.
Cette mode passera aux début du XXème siècle avec l’arrivée de la Première Guerre Mondiale, la miniaturisation des appareils photos et le développement des pellicules qui permettront aux gens de s’équiper et de ne plus passer par leurs photographes. Viendra par la suite la mode des cartes postales qui sera sur le même principe, mais ne touchera pas les très grands de ce monde.
Pour aller plus loin :
Quelques protagonistes :
Une base de données :
Un article de blog :
L’histoire mieux développée :